Le chien
Je mène une recherche et je me rends compte que mes conclusions impliquent aussi
une prise de position, une posture et une affirmation. Dans ma note
d’investigation je conclus qu’il y a un non-savoir où on se place au moment de
la création et qui est essentiel afin de séparer cet état sublimé de la réalité
et que ce non-savoir est aussi important de point de vue formatif, en tant
qu’espace qui a la possibilité de s’ouvrir vers une autoréflexion qui, à son
tour mène vers la connaissance. Plus ou moins. Ce n’est pas très clair parce
que plus je lis, plus je pense… moins je sais ! Dans le devoir qui a
commencé avec des cours de Deleuze je conclus que l’artiste est muet comme l’infans et qu’il a besoin de
tutelle. Il a besoin que d’autres verbalisent à sa place (pas pour tous,
évidemment je généralise ma propre expérience et celle de quelques autres).
Donc, on crée dans une sorte d’animalité, car c’est le verbe ce que nous sépare
en tant qu’humains.
Où est-ce que je me situe avec tout ça ? Dans la
bêtise ? Pas vraiment, juste en-dehors de l’art contemporain tel qu’il est
compris où l’idée, le concept emporte sur l’objet d’art. La réalisation n’est
pas très importante, ni qui la fait, ni comment. C’est l‘idée qui compte et le
parergon derridien. L’art est déclaré en tant qu’art même si c’est un tas de
déchets pourris. Le contraire c’est du bon et vieux art moderne où se
produisent toujours des tableaux (qui représentent ou non) et des objets d’art
qui persistent comme tels même en dehors du cadre muséal. Là aussi je fais une
séparation molto grosso modo, mais c’est juste pour être un peu clairs. Donc,
si je dis que l’artiste est un infans et qu’il crée dans le non-savoir je me place
dans un discours moderniste, parce que l’autre, le contemporain, c’est
quelqu’un qui pense, qui cogite, qui raisonne et qui ne se salit pas trop les
mains. Les critiques de cet AC[1]
sont véhéments et proclament même qu’il y a une destruction de l’art tel qu’on
le connaît et on l’admire depuis des siècles. Est-ce qu’ils parlent de
destruction à cause de ce trop penser, trop théoriser ? Non. C’est un
facilisme, un recyclage et une décontextualisation des idées. Hier je me rappelais de Derrida et
de son impossible livre « La vérité en peinture ». Impossible parce
que très difficile à lire et à comprendre. Là il avance l’idée de parergon, le
cadre qui rend l’art art et qui permet que l’artiste contemporain présente une
épluchure de banane dans un musée. Dans le même livre il parle aussi de la
beauté pure qui existe en elle même. D’une tulipe. Derrida dialogue avec Kant sur la définition du Beau en lui donnant une
sans-fin et un sans-concept. La beauté pure est la beauté sauvage, non altérée
par le concept, qui n’a pas de but, ni de fin.
« « Finalité sans
fin », la locution est aussi fanée que « plaisir désintéressé »,
elle n’en reste pas moins énigmatique. Elle semble vouloir dire ceci :
tout dans la tulipe, dans sa forme, semble organisé en vue d’une fin. Tout y
semble finalisé, comme pour répondre à un dessein (…), et pourtant à cette
visée d’un but, le bout manque. L’expérience de ce manque absolu de bout viendrait à provoquer le sentiment du beau,
son « plaisir désintéressé ». » (p. 97) Si l’art, ou au moins
certaines de ses formes ne s’appuient que sur la beauté (qui sauvera le monde
ou le métamorphosera, au moins), l’art ne servirait à rien. Mais, plus loin, « Sans finalité, pas de beauté. Mais
non davantage si une fin devait déterminer cette beauté » (Derrida, p.
99) Je me rends compte que je prends de Derrida les parties qui me
conviennent, celle sur la beauté et les autres prennent… ce que leur permet de
contextualiser leur œuvre.
L’exemple : Nicole Esterolle, critique d’art poste
aujourd’hui sur facebook ceci :
« Plasticiens
en voie d’émergence, si vous êtes en panne de texte sur votre travail : voici
trois textes critiques passe-partout , de haute tenue langagière et
indémodables
Cher
schtroumpf en voie d’émergence sur la scène interantionale,qui vient par
exemple de réaliser l’œuvre ci-contre et qui cherche un écrivain d’art pour en
dire du bien. : je vous propose gratis les 2 textes ci-dessous, modèle,
standard et passe-partout, qui marchent dans tous les cas de figures et pour
toutes les « démarches » artistiques formatées à l’institutionnel et au
contemporain international. Vous donc pouvez l’utiliser vous-même pour
présenter votre « process » dans un dossier de demande de subvention, de
candidature pour Montrouge … ou pour frimer auprès de vos amis, parents ou
fiancé(e)
En réalité, ces textes ne sont pas de moi : je les ai pris parmi les centaines du même tonneau que l’on peut trouver dans les dossiers presse reçus pour les expos de schtroumpfs de cet été. Ils sont tous deux de haute tenue langagière, utilisables pour tous les plasticiens d'aujourd'hui et de tous pays, qui seraient en manque de commentateurs. Il est utilisable aussi par les critiques d'art en état de constipation scripturale passagère, car ça arrive même aux plus grands
Texte
1
Cette œuvre de XXX n’est pas une structure signifiante, ni une organisation réfléchie, ni une inspiration spontanée, ni une orchestration, ni une petite musique. Elle est avant tout, dans un pur esprit Deleuzien, « un agencement d’énonciations ».(toujours citer Deleuze ou Derrida) Elle déploie ainsi, dans l’intégralité des espaces, une série de nouvelles productions mises en relation avec des œuvres existantes. Elle est à appréhender comme un agencement d’expériences, d’intuitions et répertorierait dans un même temps un ensemble de parcelles, une géographie, parfois mutique, parfois animée, de la mémoire ou des mémoires de l’artiste tel un jeu de réminiscences. XXX nous conduit ainsi dans un monde régi par la science, le politique, par des réalités historiques, ou par l’imaginaire collectif, qui à travers des dispositifs vibratoires entre-eux et sur eux-mêmes, seraient autant de pistes pour qu’est-ce-tionner ( ici référence à Lacan) ou évaluer notre rapport au monde. L’espace ou les temporalités entre les œuvres, sont pour l’artiste des engrenages spiralés aussi importants que les œuvres elles-mêmes. Par une po-éthique combinant intentions et regards, entre voir et montrer, il ne s’agit pas de trancher, mais plutôt de faire coexister pour que des affects surgissent aux interstices. C’est surtout autour du statut de l’image et du concept de temps que ses démarches déploient une riche panoplie d’objets visuels. Les sciences et la philosophie sont là en toile de fond pour aiguiser les recherches et les centres d’intérêt de XXX qui vit entre Paris, New York et Craponne sur Arzon (Haute Loire). »[2]
Cette œuvre de XXX n’est pas une structure signifiante, ni une organisation réfléchie, ni une inspiration spontanée, ni une orchestration, ni une petite musique. Elle est avant tout, dans un pur esprit Deleuzien, « un agencement d’énonciations ».(toujours citer Deleuze ou Derrida) Elle déploie ainsi, dans l’intégralité des espaces, une série de nouvelles productions mises en relation avec des œuvres existantes. Elle est à appréhender comme un agencement d’expériences, d’intuitions et répertorierait dans un même temps un ensemble de parcelles, une géographie, parfois mutique, parfois animée, de la mémoire ou des mémoires de l’artiste tel un jeu de réminiscences. XXX nous conduit ainsi dans un monde régi par la science, le politique, par des réalités historiques, ou par l’imaginaire collectif, qui à travers des dispositifs vibratoires entre-eux et sur eux-mêmes, seraient autant de pistes pour qu’est-ce-tionner ( ici référence à Lacan) ou évaluer notre rapport au monde. L’espace ou les temporalités entre les œuvres, sont pour l’artiste des engrenages spiralés aussi importants que les œuvres elles-mêmes. Par une po-éthique combinant intentions et regards, entre voir et montrer, il ne s’agit pas de trancher, mais plutôt de faire coexister pour que des affects surgissent aux interstices. C’est surtout autour du statut de l’image et du concept de temps que ses démarches déploient une riche panoplie d’objets visuels. Les sciences et la philosophie sont là en toile de fond pour aiguiser les recherches et les centres d’intérêt de XXX qui vit entre Paris, New York et Craponne sur Arzon (Haute Loire). »[2]
Je ne cite que le premier
car il est parlant et, à vrai dire, j’utiliserais volontiers un des deux pour
la prochaine fois qu’on me demande pour mon œuvre à présenter quelque part. d’ailleurs, je me
demande même si tout cet écriture que je fais ici ne tombe pas dans le même
type d’exercice. Je me le demande, parce j’ai avoué plus tôt que de toutes mes
lectures je ne prends que ce que me convient. Des entretiens que j’ai faits
aussi… Est-ce que je triche quand je fais ça ? Oui et non. Non, parce que
il n’y a pas d’objectivité dans ce monde (peut-être dans les lois de la
physique) et il n’y a pas de vérité. Et oui, je triche, tu triches, il/elle
triche, nous trichons, vous trichez. Et ce n’est même pas le bon mot.
Mais tout cet écrit
d’aujourd’hui a commencé avec deux conférences auxquelles j’ai assisté cette
semaine d’une autre critique d’art. Mexicaine, aussi critique que celle que je
cite plus haut, elle a déclenché une série d’idées sur l’être artiste et sur le
devenir artiste. La deuxième conférence s’appelait « La destruction de
l’art », la première était dédiée aux étudiants de la faculté d’arts et
avait comme leitmotiv « Ceci n’est pas de l’art » (un peu comme la pipe de Magritte). Dommage
qu’elle ne leur a pas montré qu’est que c’est du bon art, parce que de celui-ci
il en a, même dans l’art contemporain.
Les idées qu’elle a lancées
aux étudiants en différentiant l’art où on crée et l’AC où on fait…
Sur qu’est-ce que c’est
l’art contemporain :
- ce que l’artiste désigne comme art, c’est de l’art
- l’artiste ne doit pas faire l’œuvre, il est un penseur,
pas un créateur
- n’importe quel objet chargé de théorie peut devenir de
l’art
- la peinture est morte, c’est un travail manuel, artisanal
qui n’implique pas un processus intellectuel
- l’art n’est pas un fait, c’est une définition
- être artiste est une position et une attitude
- le critique est un philosophe qui apporte un signifiant à
chaque œuvre (A. Danto)
- pour le philosophe c’est sans importance ce que l’artiste
fait : c’est le critique lui donne un sens
- quand c’est le texte plus important que l’œuvre, alors
tout peut être transformé en art
- si l’art perd son sens, alors ni les musées, ni les
écoles d’art ont un sens[3]
- tout ça fait perdre le sens critique
- il n’y pas de définition de ce que c’est l’art, mais en
même temps tout est art
- si au moment quand on regarde un objet on se pose la
question « Est-ce de l’art ? », ce n’est pas de l’art
- ce que ne demande pas de talent, de l’intelligence et
d’un savoir-faire n’est pas de l’art
- les objets pour lesquels c’est plus importance
l’explication que l’œuvre, ne sont pas de l’art
- ce qui est basé que sur des mots, n’est pas de l’art [4]
- l’artiste est un créateur qui fait des choses, il ne suffit
pas juste penser
- les œuvres qui on besoin d’une rhétorique curatorielle
pour être justifiées comme art, ne sont pas de l’art
- ce que en dehors du contexte muséal perd sa valeur comme
art, n’est pas de l’art
- ce que ne donne pas une vision qu’apporte à notre propre
vision de la réalité ou qui ne provoque pas de l’admiration, n’est pas de l’art
- ce qu’exploite le sensationnalisme, le cirque et l’impact
facile, n’est pas de l’art[5]
- ce qui est une réplique littérale de la réalité n’est pas
de l’art, n’est pas de l’art à le ready made n’est pas de l’art
- ce que n’a pas de pensé abstraite n’est pas de l’art
- Danto dit « l’art devient philosophie »
Voilà. Les étudiants n’ont
pas du tout aimé cette conférence. C’est tellement plus facile de faire de
l’art contemporain ! Il ne faut pas apprendre à peindre, dessiner ou
sculpter pendant des années… Je suis moins radicale dans ces questionnements de
l’art contemporain – je considère qu’il y a toujours de bonnes et de mauvaises
œuvres et c’est tout. En peinture, en vidéo-art ou en installation. Mais ça
remet cruellement en question les écoles d’art. Et c’est bien possible que ce
type d’art devienne une branche de la philosophie. Une sorte de philosophie qui
coute très cher[6]
et qui est visible en tant qu’objet quelconque.
Mais je pose toujours la
question à quelques amis qui sont professeurs « Que faites-vous pour
rendre ces jeunes gens artistes ? » Est-ce qu’on les enseigne sur
l’esprit critique, le jugement de valeurs, analyse de la réalité ou des chefs-d’œuvre ? Quel est le travail d’un
professeur d’art si tous sont des artistes ? Est-ce qu’il doit se limiter
à laisser libre ce sujet et l’applaudir pour qu’il ne se sente pas atteint dans
son estime de soi ? (Surtout si c’et une femme, gay, ou toute autre minorité
qui peut crier à la discrimination). Doit-on toujours enseigner les techniques
et savoir-faire anciens ou on les laisse de côté parce que ce type d’art est
mort ? Pour cette dernière question il y a une vérité ici à Quito :
les professeurs eux-mêmes ne dominent pas ces choses. Il ne peuvent pas
enseigner quelqu’un à peindre ou à dessiner parce qu’eux-mêmes ne le savent
pas. La maitrise le copiage fidèle de la nature est bienvenu, mais il n’y a pas
une analyse de la réalité à pensée abstraite.
Ok, je m’en vais. Cette
Avelina Lesper m’a beaucoup
inspirée ; c’est une femme qui n’a pas peur de dire ce qu’elle pense (même
si elle se faut huer) et ça m’inspire. Ça m’inspire d’aller plus loin de ma cuisine
créationnelle et aller analyser un peu dans l’institution. Parce que cette
cuisine on l’a tous, d’une manière ou d’une autre, dans le vide, dans le plein,
dans le savoir ou non, mais dehors… dehors la chose est grave.
Voici le chien: http://www.projetcoal.org/coal/2008/05/19/l%E2%80%99affaire-guillermo-vargas-tellement-horrible-que-c%E2%80%99est-vrai/
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